Yaël ARMANET-CHERNOBRODA

 

Yaël Armanet-Chernobroda est franco-israélienne et vit à Haïfa, en Israël, depuis 1976.


Choix bibliographique 

  • Haïfa-Jénine, après le silence (Le Passeur, 2015)

 

Participation à la revue

  • N° 19  : Présentation des Lettres Polonaises

 

A propos des Lettres Polonaises parues dans le n°19

Ce n'était pas un secret de famille. Ces trois cents lettres ont toujours été là, à la portée de tout le monde, dans leur petite boîte carrée en carton. Mais personne n'a jamais vraiment cherché à les lire parmi les enfants.  Pendant 70 ans, elles sont restées comme ça, pliées en quatre, sans que quiconque puisse les lire, car elles avaient été écrites en yiddish et en polonais, et qui savait encore ces langues parmi les enfants de ces deux parents, émigrés venus de Pologne en janvier 1935, sentant venir le malheur, et s'établissant en Palestine ?

Mais les deux parents avaient lu toutes ces lettres, ils ont pleuré en silence et en cachette pendant toute leur vie sur leur deuil et le père, Saul -Menahem Chernobroda, a demandé que les noms de ses proches et ceux de sa femme, Malka-Sheine, née Stupaj, soient inscrits sur leurs tombes respectives. Pour la mémoire. Cela a été fait.

Leur fils aussi, Dov Chernobroda, a demandé de son vivant à ses trois enfants et à ses petits-fils de garder leur nom Chernobroda. Pour la mémoire. « C'est la seule chose qui nous reste de notre famille, notre nom », disait-il. Et ils l'ont gardé.

Dov était né en Israël, deux mois après l'arrivée de ses parents avec sa sœur Hanna, âgée de onze ans,  et son frère Hanina, âgé de deux ans et demi (leur jeune sœur Nehama naîtra en 1940). Il a grandi dans l'atmosphère laborieuse et anxieuse de la maison, où on se précipitait là aussi sur chaque lettre, à la recherche d'une bonne nouvelle et d'une belle photo.

Il a peut-être à peine trois ans, quand  il lance au facteur dans la rue: « Par ici, Monsieur ! », lui désignant la maison de ses parents, car il a déjà compris l'importance du courrier qui vient de Pologne… (C'est son grand-père maternel qui reprend cette anecdote dans une de ses lettres à sa fille, non reprise ci-après).

Dov est malheureusement mort assassiné dans un attentat terroriste, tout près de notre maison, à Haïfa, en Israël, le 31 mars 2002. Il était allé déjeuner avec une jeune femme qui travaillait avec lui dans son bureau d'architectes. Il avait récemment retrouvé dans ses affaires ces deux boîtes pleines de lettres et les avait ramenées chez nous. Nous pensions les faire traduire ensemble, un de ces jours.

Cinq ans après, j'ai repris le flambeau – moi, sa veuve – avec le soutien de ses grands enfants et de ses sœurs – ma famille israélienne à jamais. Sans le travail de traduction merveilleux de notre si chère amie Havka Avni, qui a grandi elle-même en Pologne dans ces mêmes années d'avant l'Holocauste, personne n'aurait jamais pu lire ces lettres dans notre entourage. C'est à elle que je dédie mes traductions de l'hébreu en français avec toute ma reconnaissance et toute mon amitié – et bien sûr à toi, Dov, que j'ai tant aimé, qui m'a tant aimée et à qui il a manqué aussi « ce petit morceau de chance » (dont parle ton grand-père maternel dans la dernière lettre traduite ici) pour partager de ton vivant, avec moi, cette route émouvante et longue à la découverte de l'histoire de tes parents, à travers celle des lettres écrites par leurs parents, frères et sœurs, avant de disparaître dans les sinistres camps de la Pologne. 

Yaël Armanet-Chernobroda